02 - Entretien avec un assureur-maladie

La SSMIG a décidé de consacrer une série spéciale aux parties prenantes du système de santé et présente les principaux acteurs du décompte des prestations stationnaires liées au SwissDRG. Nous avons rencontré Philippe Weber pour parler du contrôle des factures. Il travaille à la CSS depuis bientôt 14 ans et dirige depuis neuf ans le domaine Contrôle du codage médical, en tant que chef du groupe Vérification des prestations SwissDRG. Grâce à sa formation d’infirmier ES, à un diplôme postgrade en soins d’urgence et à des formations continues ciblées en leadership, il allie de solides connaissances médicales à une gestion moderne. Il apporte ainsi un souffle nouveau et des compétences étendues dans la vérification des prestations et l’optimisation des processus au sein de la CSS.

 

 Comment se déroule le contrôle des factures chez vous? Quelles sont les étapes que doit suivre une facture?

La vérification des prestations est effectuée selon un processus de contrôle basé sur des règles et hautement automatisé. Après la transmission électronique par les fournisseurs de prestations, l’exhaustivité, la plausibilité et la conformité aux règles des données de facturation et de codage médical (Medical Clinical Dataset) sont automatiquement contrôlées. L’étape suivante consiste à contrôler les données sur le plan des assurances et sur le plan administratif au moyen d’un ensemble complet de règles dans le système de vérification des prestations. Les éléments suivants sont notamment contrôlés: la compétence en tant qu’organisme payeur, le respect des prescriptions légales conformément à la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal) et à l’ordonnance sur les prestations de l’assurance des soins (OPAS), d’éventuelles doubles facturations ainsi que l’exhaustivité et l’actualité des données CIM-10 et CHOP. En outre, il est vérifié si les données correspondent à la norme XML en vigueur, si le motif du traitement (p. ex. maternité, invalidité ou accident) est correctement indiqué et si toutes les prescriptions tarifaires et contractuelles sont respectées. Le calcul du prix sur la base du baserate est également automatisé.

Si, au cours de ces contrôles, des incohérences ou des anomalies sont constatées, des collaboratrices et collaborateurs qualifiés procèdent à un examen manuel complémentaire au cas par cas. Si cette vérification ne révèle aucune irrégularité, une équipe spécialisée de codeuses et codeurs médicaux examine ensuite si le décompte est correct et médicalement traçable. Dans un premier temps, un contrôle automatisé du codage est effectué sur la base d’un ensemble complet de règles formelles et médicales. L’accent est mis sur le respect des instruments actuels de codage médical ainsi que sur la traçabilité médicale des prestations facturées. En cas d’erreur ou de divergence, le système de contrôle transmet les dossiers concernés à notre équipe spécialisée composée de codeuses et codeurs médicaux expérimentés pour une évaluation manuelle complémentaire. Si le codage est conforme aux directives et si les prestations sont médicalement traçables, la facture est payée.

Si des questions subsistent, nous demandons au fournisseur de prestations les documents médicaux nécessaires à l’évaluation. Après réception de ces derniers, nous procédons à un contrôle approfondi du codage médical. Si ce contrôle aboutit à un résultat différent, nous contestons le cas par écrit auprès du fournisseur de prestations. Dans le cas contraire, nous clôturons le contrôle du codage et validons le paiement de la facture.

Grâce à ce processus structuré et largement automatisé, environ 88% des factures sont contrôlées et traitées de manière automatisée – sans aucune intervention manuelle. Nous garantissons ainsi que l’accès aux données se fait toujours de manière proportionnée et ciblée, et que toutes les prescriptions légales sont respectées.

Selon quels critères vérifiez-vous la présence d’erreurs ou d’irrégularités sur les factures?

Nous vérifions chaque facture selon des critères clairs. Pour ce faire, nous nous basons sur les instruments de codage médical, en particulier sur les directives de codage et les systèmes de classification tels que CIM-10 et CHOP. De plus, nous respectons les prescriptions légales (LAMal et OPAS) ainsi que les conventions conclues avec les fournisseurs de prestations.

Les aspects économiques sont également importants pour nous. Avec quelque 230’000 factures par an dans le domaine stationnaire (assurance de base obligatoire), nous veillons à gérer les primes de nos clientes et clients de manière responsable et efficace. C’est pourquoi nous maintenons les frais administratifs à un niveau aussi bas que possible et utilisons nos ressources de manière ciblée, là où elles apportent le plus de valeur ajoutée.

Lors des contrôles manuels, nous nous concentrons sur les cas où, d’après notre expérience, nous constatons plus souvent des erreurs ou des incohérences susceptibles d’engendrer des conséquences financières. Nous utilisons ainsi nos ressources efficacement et garantissons que le contrôle des factures reste à la fois qualitatif et économique. Nous remplissons de cette manière nos obligations légales et contractuelles, tout en assumant nos responsabilités vis-à-vis de notre clientèle.

 

Quel est le rôle de l’automatisation dans le contrôle des factures – et dans quels cas un examen manuel reste-t-il nécessaire?

Nous en sommes fiers: grâce à des mécanismes de contrôle automatisés, près de 88% des factures peuvent être traitées efficacement et sans intervention manuelle.

Les contrôles manuels sont effectués lorsque les systèmes automatisés détectent des incohérences, des anomalies ou des faits complexes. Des collaboratrices et collaborateurs qualifiés se chargent alors du contrôle détaillé, en particulier dans les cas médicalement exigeants, en présence de facturations inhabituelles ou lorsque des documents complémentaires sont nécessaires. Nous garantissons ainsi une évaluation professionnelle et correcte, même dans des situations complexes ou litigieuses. Si nécessaire, nous faisons également appel au médecin-conseil.

 

À quelles erreurs ou incohérences typiques dans les factures êtes-vous le plus souvent confronté? Existe-t-il certains domaines spécialisés, diagnostics ou cas de médecine interne qui nécessitent davantage des corrections, des rejets ou des renégociations ultérieures avec les hôpitaux et les assurances?

Les erreurs ou incohérences typiques dans les factures concernent souvent les traitements complexes en soins intensifs, la durée du séjour ou les jours d’attente, ainsi que certains diagnostics tels que l’hyponatrémie ou la malnutrition protéino-énergétique. Nous observons également des spécifications de diagnostics qui ne sont pas justifiées ou documentées dans la documentation médicale, par exemple une insuffisance cardiaque, une insuffisance rénale, une démence ou un état confusionnel aigu. De manière générale, les problèmes surviennent souvent lorsque des diagnostics ou prestations sont facturés sans justification suffisante dans la documentation médicale.

 

Comment traitez-vous les cas litigieux? / À quelle fréquence y a-t-il des litiges avec les fournisseurs de prestations et comment sont-ils résolus?

Depuis l’introduction du tarif SwissDRG, la qualité du codage médical s’est nettement améliorée. De nos jours, les erreurs manifestes sont rares. Les litiges surviennent surtout dans le cadre de situations médicales complexes ou de zones grises, lorsque les règles ne sont pas parfaitement claires. Il s’agit souvent de situations dans lesquelles les fournisseurs de prestations utilisent les marges tarifaires au maximum ou dans lesquelles le codage est à la limite de ce qui est autorisé. Comme les cas deviennent de plus en plus complexes et que la pression des coûts sur les hôpitaux augmente, le nombre de réexamens et la charge de travail par examen ne cessent d’augmenter.

Nous clarifions les cas litigieux à l’aide de prises de position écrites bien motivées et compréhensibles. Une argumentation transparente et objective est particulièrement importante dans les zones grises, car la situation juridique n’est souvent pas claire. Nous misons donc sur une communication ouverte. Si nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord par écrit, nous recherchons le dialogue direct.

Ce n’est que lorsqu’aucun accord n’est possible et que nous sommes convaincus du bien-fondé de notre point de vue que nous nous adressons au secrétariat de codage de l’Office fédéral de la statistique. Il s’agit toutefois de la dernière étape du processus que nous souhaitons éviter autant que possible. Nous nous efforçons de résoudre les cas directement et dans un esprit de partenariat avec les fournisseurs de prestations. 

 

Quelles lacunes dans la documentation compliquent le plus la vérification correcte des factures?

Souvent, la documentation médicale est incomplète, contradictoire ou peu claire. Il manque fréquemment des informations importantes sur les diagnostics, le déroulement du traitement ou les prestations fournies, en particulier pour les traitements complexes soumis à certaines caractéristiques minimales. De telles lacunes nous compliquent la tâche lorsqu’il s’agit de vérifier la nécessité médicale et le codage correct des prestations facturées.

Des documents manquants ou peu clairs entraînent un surcroît de travail considérable, tant pour les fournisseurs de prestations que pour la CSS, car nous devons procéder à des clarifications supplémentaires et demander des documents complémentaires. Cela retarde la vérification et le paiement de la facture et génère des coûts inutiles pour toutes les parties concernées. Une documentation complète, structurée et transparente, comme l’exige la loi, est donc essentielle pour un contrôle efficace et correct.

 

Qu’attendez-vous des médecins et des hôpitaux pour rendre le contrôle des factures plus efficace?

Pour une vérification efficace des prestations, nous avons besoin d’une documentation médicale complète, structurée et transparente de la part des médecins et des hôpitaux. Toutes les informations pertinentes sur les diagnostics, les traitements et les prestations fournies doivent être claires et traçables. Le codage doit être effectué conformément aux directives actuellement en vigueur. Une communication ouverte en cas de questions et la mise à disposition rapide des documents manquants facilitent également le processus de contrôle. Tout retard dans la transmission des documents entraîne un surcroît de travail – pour tout le monde.

Je tiens par ailleurs à souligner qu’en tant qu’assureurs, nous ne sommes pas responsables des prescriptions légales ni des règles de facturation. Il est donc inutile de discuter avec nous du bien-fondé ou de l’absurdité des conditions de décompte en vigueur qui sont, parfois, effectivement contestables. J’aimerais plutôt que le corps médical et les hôpitaux s’engagent eux aussi activement en faveur de tarifs plus clairs et mieux adaptés à la pratique. Les prestations sous-remboursées ne doivent pas être compensées par des décomptes alternatifs incorrects, mais par une participation constructive et basée sur les faits au développement des tarifs par l’intermédiaire des institutions compétentes. C’est le seul moyen d’améliorer durablement le système, dans l’intérêt de toutes les parties concernées.

 

Quelles tendances observez-vous dans l’évolution des coûts de la santé et où existe-t-il selon vous un potentiel d’économies?

Nous constatons que les coûts de la santé continuent d’augmenter en Suisse, notamment dans le domaine des traitements stationnaires et des prestations médicales complexes. Cela s’explique notamment par les progrès de la médecine, l’évolution démographique ainsi que l’élargissement continu du catalogue de prestations et le recours accru à celles-ci. Parallèlement, les exigences en matière de documentation et de décompte augmentent, ce qui accroît davantage encore la charge administrative.

Nous voyons avant tout un potentiel d’économies dans la prévention systématique des soins inappropriés et de la surmédicalisation, dans une meilleure collaboration entre tous les acteurs du système de santé, ainsi que dans la numérisation et l’automatisation des processus. Une documentation médicale transparente et complète ainsi qu’un codage correct contribuent également à éviter des coûts inutiles. La constitution de réseaux au sein desquels les traitements sont bien coordonnés permet de garantir que toutes les personnes impliquées disposent des mêmes informations et d’éviter les doublons dans le processus de traitement. Cela améliore la qualité des traitements. En outre, il serait judicieux de développer les tarifs et de les axer davantage sur les prestations médicalement nécessaires et économiques. Nous pourrions ainsi utiliser les ressources de manière plus ciblée et soulager durablement le système de santé.

 

Comment évaluez-vous l’influence des forfaits par cas (SwissDRG) sur la qualité des factures?

Avec l’introduction des forfaits par cas (SwissDRG), la qualité des factures s’est globalement améliorée – le décompte est plus transparent et plus structuré. Les règles uniformes favorisent une documentation et un codage standardisés et traçables des prestations. Dans le même temps, l’accent a été mis sur l’exactitude du codage médical et l’exhaustivité des documents.

Toutefois, nous observons aussi de nouveaux défis: la complexité du codage a augmenté et il existe une certaine tendance à exploiter ce dernier de manière à d’obtenir une rémunération plus élevée, ce qui conduit à davantage de contrôles et de discussions. Dans l’ensemble, SwissDRG a amélioré la qualité et la traçabilité des factures, mais exige un haut niveau de connaissances spécialisées et de rigueur de la part de toutes les parties prenantes.

 

Quelles évolutions techniques, en particulier dans le domaine de l’intelligence artificielle, vont modifier le contrôle des factures au cours des prochaines années? Faut-il s’attendre à ce que l’IA prenne en charge l’ensemble du processus de contrôle à l’avenir?

Les évolutions techniques, en particulier dans le domaine de la numérisation et de l’intelligence artificielle (IA), vont considérablement modifier la vérification des prestations au cours des années à venir. Aujourd’hui déjà, les systèmes automatisés et les applications basées sur l’IA aident à contrôler rapidement de grandes quantités de données, à identifier des modèles et à contrôler la plausibilité des factures. Ainsi, les tâches de routine et les cas standard peuvent être traités de manière de plus en plus automatisée.

Une approche particulièrement prometteuse est la reconnaissance de texte automatisée, qui devrait nous aider à l’avenir à lire et à comprendre plus efficacement les documentations médicales complexes. Ainsi, même des documents volumineux et non structurés pourront être analysés plus rapidement et les informations pertinentes pourront en être extraites de manière ciblée.

Nous nous attendons à ce que l’utilisation de l’IA continue d’augmenter et que les systèmes deviennent de plus en plus performants. Néanmoins, l’être humain restera indispensable, en particulier pour les cas complexes ou litigieux qui nécessitent une évaluation professionnelle individuelle. L’IA peut donc considérablement faciliter le processus de contrôle et le rendre plus efficace, mais elle ne le remplacera pas entièrement. La combinaison de l’innovation technique et de l’expertise professionnelle demeure essentielle pour garantir une vérification des prestations de haute qualité et conforme à la loi.

Pour terminer, permettez-moi d’aborder brièvement la manière dont nous percevons, en tant qu’assureur-maladie, l’utilisation de l’IA par les fournisseurs de prestations: nous observons que les hôpitaux utilisent de plus en plus l’IA pour effectuer des recodages systématiques et des révisions massives de cas déjà clôturés. Cette pratique nuit à la qualité des données, complique la planification budgétaire et met en péril la crédibilité et la viabilité économique du système de décompte. C’est pourquoi nous nous engageons en faveur d’une collaboration transparente et équitable, qui accorde la priorité à la qualité du codage primaire et à l’intégrité de la documentation médicale.

 

Que souhaitez-vous dire/conseiller aux spécialistes en médecine interne générale?

Comme l’a dit un jour avec justesse Ludwig Hasler, philosophe et orateur suisse: dans le domaine de la santé, deux logiques différentes s’affrontent: la logique de l’assurance et la logique médicale. Alors que la logique de l’assurance tente de classer le monde en catégories claires et budgétisées, les médecins, eux, mettent avant tout l’accent sur l’individu et son destin. Ces deux points de vue sont difficiles à concilier et conduisent inévitablement à des conflits qu’il n’est pas simple de résoudre.

L’objectif ne devrait pas être d’éliminer ces conflits, mais de les accepter comme faisant partie du système et de les gérer de manière constructive. Pour que le système de santé reste viable pour la société, il faut à la fois reconnaître la valeur de chaque personne et disposer d’une instance qui fixe des limites à la prise en charge. Dans des conditions réelles, les conflits ne sont pas faits pour être définitivement résolus, mais pour rester une source de progrès dans le dialogue.

C’est pourquoi nous souhaitons une collaboration ouverte et constructive d’égal à égal, une compréhension et une acceptation mutuelles des différentes perspectives, dans le but commun de trouver des solutions durables pour les assurées et assurés, ainsi que pour les patientes et patients.

 

Philippe Weber

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